Finie l’excision : des villages célèbrent 10 ans d’évolution des droits des femmes au Sénégal

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L’excision est décrite comme étant « un éventail de pratiques qui inclut l’ablation totale ou partielle de la partie extérieure de l’organe génital féminin pour des raisons non médicales ». Cette procédure peut inclure l’utilisation d’outils rudimentaires ou non stérilisés. La terminologie utilisée pour cette procédure a subi un nombre d’évolutions importantes. Lorsque la pratique fut connue à l’extérieur des sociétés où elle était traditionnellement pratiquée, on l’appelait « circoncision féminine ». Toutefois, ce terme crée une confusion entre les deux pratiques distinctes de la circoncision masculine et féminine. Dans le cas des jeunes filles et des femmes, l’excision est une manifestation d’une profonde inégalité entre les sexes car elle leur assigne une position inférieure dans la société et a de graves conséquences physiques et sociales. À la fin des années 1970, l’expression « mutilation génitale féminine » (MGF) émergea et était favorisée. Le mot « mutilation » fait non seulement une distinction claire avec la circoncision masculine mais, à cause de sa forte connotation négative, il met l’emphase sur la gravité de l’acte. L’utilisation du mot « mutilation » renforce l’idée que cette pratique est une violation des droits des jeunes filles et des femmes et contribue à la promotion nationale et internationale en faveur de l’abandon de cette pratique. Au niveau de la collectivité, ce terme peut être problématique. Les langues locales utilisent généralement « excision » car ce terme est moins péjoratif. Les parents s’opposent à l’idée qu’ils mutilent leurs fillettes. En 1999, le Rapporteur spécial de la Commission sur les pratiques traditionnelles des Nations Unies a fait appel au tact et à la patience lorsqu’il s’agit des activités dans cette région et a demandé à ce qu’on fasse attention de ne pas « démoniser » certaines cultures, religions et collectivités. Par conséquent, le terme « excision » commence à être plus utilisé afin d’éviter d’aliéner des collectivités.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que 100 millions de jeunes filles et de femmes dans le monde ont subi une forme d’excision. On estime que deux millions de jeunes filles par année subissent une excision. La plupart vivent en Afrique ou en Asie. Dans la majorité des pays d’Europe et d’Amérique du Nord, l’excision est illégale, mais cette pratique peut être encore présente dans les collectivités africaines et asiatiques.

Texte

Animateur :
Bonjour (Bonsoir) et bienvenue à notre émission. Aujourd’hui, nous allons discuter avec Maimuna Traoré et Marième Traoré. Ces deux femmes sont de Malicounda, au Sénégal. Elles font partie d’un groupe de femmes qui furent les premières à déclarer que leur collectivité ne pratiquera plus l’excision. Le dixième anniversaire de la Déclaration de Malicounda Bambara a eu lieu le 31 juillet 2007.

La Déclaration de Malicounda a été faite par 35 femmes du village. Malicounda Bambara se situe à 4 km du département de Mbour dans la région de Thiès, au Sénégal. C’est après avoir reçu une formation d’un organisme appelé Tostan qu’elles ont décidé de ne plus enfreindre les droits de leurs fillettes en abandonnant la pratique au sein du village et de faire la Déclaration. Après avoir reçu des informations sur le droit à la santé, la Convention sur les droits de l’enfant (CDE), la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination envers les femmes (CEDEF), la Charte africaine sur les droits et le bien-être de l’enfant, la Charte africaine sur les droits humains et ceux des populations, mais également sur les complications liées à la pratique.

(Pause)

Maimuna Traoré, pouvez-vous vous présenter et nous expliquer ce qui s’est passé il y a maintenant plus de 10 ans?

Maimuna Traoré :
Je m’appelle Maimuna Traoré. Je suis la coordonnatrice du Comité de gestion communautaire et responsable des femmes de Malicounda Bambara. Nous avons organisé la Déclaration non pas pour rejeter nos traditions mais plutôt après avoir participé au programme d’éducation de base de Tostan où nous avons appris beaucoup de choses, notamment sur la santé et sur les conséquences de l’excision. Je veux également préciser que, lorsque les femmes ont décidé d’abandonner la pratique, j’étais en voyage au Mali. C’est à mon retour que je me suis rendu compte qu’elles avaient appris un module sur les droits humains et la santé où il est question, dans une des séances, des complications liées à l’excision. Elles avaient par la suite monté une petite pièce de théâtre sur le thème de l’excision afin de sensibiliser la collectivité. C’est donc à mon retour qu’elles m’ont interpellée sur la question en me demandant ce que j’en pensais. Je leur ai répondu que je partageais leur décision dans la mesure où ce sont elles les mères d’aujourd’hui et qu’il s’agit de la santé de leurs fillettes. Par conséquent, si elles décident, avec leur mari, d’abandonner l’excision en se basant sur les conséquences néfastes de la pratique, nous ne pouvons que partager et respecter leur décision.

Au début, cela a été facile parce que l’on avait, en tant que participants directs au programme, parlé à toute la collectivité de Malicounda Bambara et, après plusieurs rencontres d’échanges et de discussions, la décision d’abandonner avait été prise ensemble. Le programme nous a permis de faire le lien entre les complications que subissaient les jeunes filles et les femmes excisées et l’excision. Cela a été possible avec le module sur la santé où les femmes apprennent sur leur anatomie et sur la santé de la reproduction. Le programme nous a ensuite permis de travailler ensemble pour pouvoir changer de convention parce que, pour l’excision, c’est un critère d’acceptation sociale et un critère de mariage. Donc personne ne pouvait abandonner seul(e) sans les autres, au risque de se faire marginaliser. Par contre, après la Déclaration, on a eu beaucoup de problèmes liés au fait que nos propos avaient été déformés par certains journalistes qui étaient venus couvrir l’événement. Cela a fait que toutes les collectivités Bambara se sont alliées contre nous. Il est facile maintenant de parler de l’abandon de l’excision, mais il a été vraiment difficile d’en arriver à ce point.

Animateur :
Pouvez-vous nous dire ce qui a vraiment changé depuis votre décision d’abandonner l’excision?

Maimuna Traoré :
Ce qui a vraiment changé dans nos vies c’est l’abandon réel de la pratique. La preuve du succès de la Déclaration c’est qu’aujourd’hui des milliers de collectivités nous ont rejointes. Les gens osent parler ouvertement de la pratique alors qu’elle était considérée comme taboue il y a 10 ans. L’abandon a permis d’enrayer la discrimination dans notre collectivité car l’excision était un critère d’acceptation sociale. Cela faisait que nous, Bambaras, nous n’avions des mariages qu’entre nous. Aujourd’hui, on assiste à un vrai changement social. On voit des mariages entre Bambaras et Sereres ou Wolofs à Malicounda Bambara.

Mais, en dehors des changements liés à la pratique de l’excision, les changements sont essentiellement liés à notre participation au programme Tostan. Avant notre participation au programme, il était impossible aux femmes de prendre part à une assemblée d’hommes. Les femmes n’avaient aucune responsabilité et ne faisaient qu’exécuter les décisions des hommes. Aujourd’hui, des femmes qui étaient extrêmement timides sont maintenant au devant de la scène dans la collectivité.

Je suis coordonnatrice du Comité de gestion communautaire de Malicounda Bambara qui regroupe 17 membres, y compris des hommes. Le programme a permis aux femmes du Comité de parler d’égal à égal avec les hommes.

Animateur :
Pouvez-vous, Madame Marième Traoré, nous donner votre point de vue sur les mêmes questions posées à Maimuna.

Marième Traoré :
La Déclaration de Malicounda Bambara a été une grande première au Sénégal et, depuis lors, les femmes sont toujours citées en référence comme pionnières dans le mouvement pour la promotion de l’abandon de l’excision. En effet, nous nous sommes rendu compte que l’excision constituait une violation du droit à la santé. Nous avons commencé à apprendre à un âge assez avancé et c’est grâce au programme que nous sommes devenues autonomes dans beaucoup de domaines.

Par exemple, pour des choses élémentaires comme le fait de composer des numéros de téléphone, il nous fallait solliciter l’aide de quelqu’un. C’était la même chose quand il s’agissait de lire ou d’écrire des lettres.

Pour les changements, il faut dire qu’ils sont multiples et surtout d’ordre sanitaire. Il n’y a plus de risque d’hémorragies chez les jeunes filles parce qu’elles ne sont plus excisées. On peut également dire qu’il y a un changement de normes sociales qui fait que, même s’il y a des personnes qui continuaient de pratiquer, elles le font en cachette de peur de représailles de la part de la collectivité.

Comme Maimuna l’a également mentionné, c’est notre vie qui a complètement changé. Nous sommes devenues d’autres personnes. Nous sommes connues à travers le Sénégal tout entier et même à travers le monde, je pense, comme étant parmi les premières à avoir osé déclarer publiquement notre abandon de cette pratique séculaire.

Animateur :
Comment appréciez-vous le fait qu’aujourd’hui il y a plus de 2 300 collectivités qui ont rejoint le mouvement en faveur de l’abandon de l’excision au Sénégal?

Marième Traoré :
Nous sommes contentes et fières parce qu’aujourd’hui nous avons été rejointes par les autres et cela ne peut que nous renforcer dans notre engagement à mettre un terme à l’excision et aux pratiques traditionnelles néfastes. Nous en sommes également fières parce que nous sommes les précurseurs de ce vaste mouvement d’abandon de l’excision dans tout le pays et dans d’autres pays africains.

Animateur :
Et vous, Maimuna, quelle appréciation faites-vous du fait que plus de 2 300 collectivités se sont jointes à vous?

Maimuna Traoré :
C’est pour nous une grande fierté. Je veux lancer un appel aux collectivités restantes dans tout le Sénégal en vue de rejoindre le mouvement parce que la santé n’a pas de prix, surtout pour les femmes. En participant au programme de Tostan, nous avons appris beaucoup de choses sur le droit à la santé et à l’hygiène, le droit à l’éducation, le droit à l’information et surtout le droit à la protection contre toute forme de violence. C’est cela qui nous a permis de nous engager en faveur de l’abandon de toutes les pratiques néfastes pour la santé, notamment l’excision et le mariage précoce. Nous sommes aujourd’hui plus que jamais en phase avec nos traditions et nos coutumes. Nous sommes plus Bambaras que jamais. Le programme nous a permis d’être plus conscientes de nos traditions car il nous a tout simplement permis de dépoussiérer les traditions positives et de mettre à nu celles qui sont néfastes pour notre bien-être. C’est vrai que nous avons changé car nous sommes plus responsables, plus solidaires, plus fières, plus informées et plus unies.

Animateur :
Merci pour cette discussion.

(Pause)

Chers auditeurs et auditrices, voici la fin de notre émission. Si vous voulez en savoir plus sur la question de l’excision, voici quelques organismes locaux qui travaillent sur cette question : (Radiodiffuseurs : donnez quelques noms et contacts pour des organismes locaux et internationaux.)

Au revoir et à bientôt.

Acknowledgements

Rédaction : Issa Saka, formateur / chargé de communication, Tostan International.
Révision : Neil Ford, chef régional, Programme de communications, UNICEF, Dakar, Sénégal.