Notes au radiodiffuseur
Le mariage précoce désigne toute union dans laquelle un ou les deux partenaires n’ont pas l’âge requis de 18 ans pour se marier. Quant au mariage forcé, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme le définit comme étant l’union de deux personnes dont l’une n’a pas donné son libre et plein consentement au mariage. Le mariage forcé peut concerner les personnes de tout âge. Par contre, le mariage précoce et forcé concerne l’ensemble des mariages d’enfants. La jeune fille est au centre de ces différents types de mariage. Ainsi, dans les cas de mariage précoce et/ou forcé, soit la jeune fille n’est pas majeure ou elle n’est pas volontaire. Donc, ses choix ne sont pas du tout considérés.
Ces pratiques sont très fréquentes en Afrique, y compris au Mali. Selon Plan International, chaque année dans le monde, plus de 12 millions de jeunes filles de moins de 18 ans sont mariées contre leur gré. Leur droit à l’enfance et à l’éducation est violé et leurs perspectives d’avenir sont limitées. Au Mali, 55 % des filles sont mariées avant l’âge de 18 ans, selon le Fonds des Nations Unies pour la population. Deux filles sur trois tombent enceintes lorsqu’elles ont 19 ans alors que 20 % des enfants se marient au moment où elles atteignent
l’âge de 15 ans.
Dans ce texte radiophonique, nous discutons avec quatre personnes sur les raisons du mariage précoce et forcé. Une experte engagée pour les droits des filles, un coordinateur de projet qui milite pour l’épanouissement de la santé reproductive, une survivante du mariage précoce et forcé et le directeur technique d’un centre de santé communautaire. Ils nous parleront des causes et conséquences du mariage précoce et forcé, sans oublier d’évoquer les solutions pour y mettre fin.
Pour produire une émission similaire sur les causes et conséquences du mariage précoce et forcé, vous pourriez vous inspirer de ce texte. Si vous souhaitez présenter votre propre programme sur le mariage précoce et forcé, échangez avec des spécialistes du genre, et allez à la rencontre des survivantes et des parties prenantes intervenant dans le domaine. Au cours de votre entretien, vous pouvez par exemple leur poser les questions suivantes :
- Quelles sont les causes possibles des mariages précoces et forcés?
- Quelles en sont les conséquences sur les filles?
- Existe-t-il une législation qui interdit cette pratique?
- Quelles sont les stratégies à mettre en œuvre pour réduire et mettre fin aux mariages précoces et forcés?
Durée estimée du texte radiophonique avec la musique, l’intro et l’extro : 30 mn
Texte
MONTEE DE L’INDICATIF MUSICAL, PUIS FONDU ENCHAINE
ANIMATEUR.TRICE:
Le mariage précoce et forcé est une violation des droits de l’homme et un type de violence basée sur le genre. Ces pratiques ont des conséquences énormes sur la vie d’une fille. Elles affectent sa santé, le développement de son corps et son éducation. Dans les mariages précoces et forcés, le consentement de la jeune fille n’est pas pris en compte. De plus, elle n’a généralement pas l’âge requis pour se marier.
Chers auditrices et auditeurs bonjour. Notre émission du jour porte sur les causes et conséquence du mariage précoce et forcé. Pour en parler, nous recevons Madame Coulibaly Mariam Kouyaté, experte sur les questions du genre et présidente de l’association Djiguiya de Sébougou à Ségou. Nous nous entretiendrons également avec Monsieur Yacouba Konaté, coordinateur de l’ONG-Walé à Ségou, Madame Fatoumata Diarra, une survivante du mariage précoce et forcé, et Monsieur Souleymane Traoré, directeur technique du centre de santé communautaire de Sébougou.
Madame Kouyaté, bonjour!
MARIAM KOUYATE:
Merci de me recevoir sur votre plateau.
ANIMATEUR.TRICE:
Bienvenue ! Expliquez à nos auditeurs ce que nous entendons par « mariages précoces » et « mariages forcés »?
MARIAM KOUYATE:
Un mariage précoce est l’union de deux personnes ayant moins de 18 ans. C’est ce qu’on appelle souvent le mariage d’enfants. Le mariage forcé est une union entre deux personnes dans laquelle la femme n’est pas consentante. En général, l’homme y consent mais la femme le refuse.
ANIMATEUR.TRICE:
Quel est l’âge requis pour se marier au Mali?
MARIAM KOUYATE:
Il est de 16 ans pour la fille et de 18 ans pour le garçon. En Afrique et plus précisément au Mali, il est recommandé que la femme soit moins âgée que son mari. Il s’agit d’une pratique culturelle de longue date. Aujourd’hui, cependant, ce n’est pas toujours le cas.
ANIMATEUR.TRICE:
Quelles sont les raisons du mariage précoce ou forcé au Mali et dans la région de Ségou?
MARIAM KOUYATE:
Les causes sont multiples. Il peut s’agir de la pauvreté et des grossesses précoces. Dans les milieux ruraux, la plupart des jeunes filles ne connaissent pas les méthodes de planning familial. C’est d’ailleurs un sujet sensible à évoquer avec sa fille. De nombreux parents pensent que s’ils ne donnent pas leurs filles en mariage à un jeune âge, elles risquent de tomber enceintes. La famille sera alors montrée du doigt et la fille sera la risée du village.
L’autre raison est liée aux croyances coutumières. Les croyances de certaines communautés au Mali sont très conservatrices. Dans certains endroits, on considère que la coutume veut qu’une fille soit sous le toit de son mari au moment où elle a son troisième cycle menstruel.
Par ailleurs, il y a l’inégalité des genres. Dans les familles africaines, les filles ont généralement un statut inférieur à celui des garçons. Elles sont considérées comme une charge et quittent la maison lorsqu’elles se marient. Au village, de nombreux parents ne s’occupent pas de la fille de la même manière que du garçon, surtout après son mariage. Beaucoup de familles marient leurs filles pour ne plus avoir à effectuer des dépenses sur elles. Pour ces familles, le rôle d’une fille est de se marier, faire des enfants et s’occuper des travaux ménagers.
ANIMATEUR.TRICE:
Quelle est la prévalence du mariage forcé et précoce au Mali?
MARIAM KOUYATE:
Au Mali, 15% des filles se marient avant l’âge de 15 ans et 55% des filles sont mariées avant l’âge de 18 ans.
ANIMATEUR.TRICE:
Qu’en pensez-vous ? Quels sont les effets négatifs de ce statut inférieur sur la vie des femmes?
MARIAM KOUYATE:
Je pense que nous devons accorder le même traitement aux filles et aux garçons. Aujourd’hui, grâce à la sensibilisation aux questions de genre, certains hommes commencent à comprendre qu’il est temps de mettre fin à ces inégalités. La situation évolue donc positivement, même si ce n’est pas à 100 %. Si certains encouragent les femmes dans leur lutte pour l’égalité, d’autres continuent à les considérer comme inférieures. C’est pourquoi je demande à tous les hommes de cesser de présenter les femmes sous un angle négatif et de les présenter plutôt sous un angle positif.
ANIMATEUR.TRICE:
Vous militez contre les mariages précoces et forcés. Comment se déroulent vos actions sur le terrain, notamment en matière de sensibilisation?
MARIAM KOUYATE:
Sur le terrain, nous rencontrons de nombreuses difficultés. En raison des coutumes et des religions au Mali, il est souvent difficile d’atteindre nos objectifs de réduction des mariages forcés et précoces. Par ailleurs, les enfants s’éduquent eux-mêmes par le biais d’internet et des réseaux sociaux.
En tant qu’association de défense des filles, nous sommes confrontés à toutes ces difficultés sur le terrain. Nous essayons donc d’approcher les traditionalistes et les chefs de communautés de manière diplomatique. Nous leur parlons des risques et des conséquences des mariages précoces et forcés. Nous leur proposons également des solutions pour y mettre fin.
Quant aux survivantes, nous leur suggérons de mener des activités génératrices des revenus. Nous les incitons à participer à nos rencontres, formations et ateliers sur les violences basées sur le genre afin d’éviter que leurs enfants ne subissent le même sort. Nous les soutenons pour qu’elles ne se sentent pas seules et abandonnées, ou qu’elles ne se considèrent pas comme la risée de la communauté. La méthode clé pour lutter contre ce fléau est la sensibilisation et le partage d’informations pour faire changer les comportements et les attitudes.
ANIMATEUR.TRICE:
Les hommes participent-ils à vos activités?
MARIAM KOUYATE:
Oui, ils sont impliqués. Nous avons actuellement des hommes engagés à travailler avec nous sur le plaidoyer. Ils nous aident à organiser des espaces de dialogue et de communication.
ANIMATEUR.TRICE:
Quelles sont vos stratégies pour éviter ou mettre fin au mariage précoce et forcé des filles?
MARIAM KOUYATE:
Nos stratégies visent à maintenir les filles à l’école. Pour cela, nous les soutenons de la première à la neuvième année, avec un suivi régulier. Nous mettons l’accent sur la sensibilisation. Nous invitons les parents et les survivants à parler de leurs expériences, et les chefs religieux et traditionnels à prodiguer des conseils.
ANIMATEUR.TRICE:
Quels rôles doivent jouer les chefs de famille, les autorités coutumières et religieuses pour mettre fin au mariage précoce ou forcé au Mali, plus précisément dans la région de Ségou?
MARIAM KOUYATE:
Ils doivent d’abord veiller au respect des lois que le Mali a signées et ratifiées. Ensuite, œuvrer à la scolarisation et au maintien des filles à l’école. Il leur incombe également d’établir une bonne communication parents-enfants et de participer à des actions de plaidoyer et de sensibilisation avec les différentes parties prenantes. Le chef de village peut, par exemple, interdire le mariage d’un enfant en bas-âge. Il peut aussi mettre en place un comité parascolaire pour donner l’opportunité aux jeunes filles de s’exprimer et de se soutenir.
ANIMATEUR.TRICE:
En tant que militante des causes des jeunes filles et des femmes, quels messages avez-vous à adresser aux parents et aux filles concernant le mariage précoce?
MARIAM KOUYATE:
Aux parents, je demande d’être des modèles qui favorisent l’éducation des enfants, et d’apprendre à communiquer librement avec elles.
Aux filles, je demande de prendre conscience que l’éducation reste un excellent moyen de lutte contre le mariage précoce et que l’école leur permet d’obtenir des opportunités économiques qui favoriseront leur indépendance.
Quant aux garçons, ils doivent également s’investir dans leurs études et ne pas être pressés de se marier, surtout avant d’avoir trouvé un emploi. Cela leur permettra de subvenir à leurs besoins personnels et familiaux une fois qu’ils seront mariés.
ANIMATEUR.TRICE:
Merci bien Mariam Kouyaté. A présent, nous allons nous entretenir avec Yacouba Konaté, Coordinateur de l’ONG-Walé à Ségou. Merci d’avoir répondu à notre invitation.
Yacouba, d’après votre expérience, pourquoi une famille retire-t-elle sa fille de l’école pour la marier de manière précoce et forcée?
YACOUBA KONATE:
Les raisons pour lesquelles une famille retire sa fille de l’école sont nombreuses.
La pauvreté des parents augmente la probabilité que leurs enfants soient mariés de manière précoce ou forcée. Certains parents offrent leurs enfants en mariage pour de l’argent. D’autres le font pour d’autres types d’avantages. Par exemple, leur gendre peut leur donner des terres agricoles ou les leur prêter gratuitement. Il y a aussi l’interprétation erronée de la religion ou de la tradition. Pour certains prédicateurs, une fille ne doit pas avoir ses règles trois fois dans la maison de ses parents. En d’autres termes, elle devrait avoir ses troisièmes règles dans la maison de son mari. Mais d’autres chefs religieux ne sont pas d’accord avec cette position.
Une autre raison est le renforcement de la cohésion sociale. Le mariage est considéré comme un moyen de renforcer la cohésion sociale dans notre communauté. Certains parents en profitent pour donner leur enfant en mariage.
ANIMATEUR.TRICE:
A votre avis, comment les filles vivent-elles cette situation?
YACOUBA KONATE:
Cela amène souvent le désespoir chez la fille et la motive à quitter sa localité, à s’adonner à la prostitution ou à se déscolariser. Certaines préfèrent abandonner la famille, pendant que d’autres acceptent, surtout quand elles aiment le garçon.
ANIMATEUR.TRICE:
Quelles sont les conséquences possibles d’un mariage précoce et forcésur la santé sexuelle, la scolarité et l’avenir de la jeune fille?
YACOUBA KONATE:
Les conséquences sont immenses. Tout d’abord, il y a un risque accru d’infections sexuellement transmissibles.
Deuxièmement, les traumatismes dus aux exigences sexuelles et aux troubles psychologiques. La jeune fille n’étant pas prête à réaliser ces activités sexuelles, elle aura peur car son corps et son esprit n’y sont pas préparés. D’autant plus que les jeunes garçons peuvent mesurer leur force sexuelle à l’aune des dommages qu’ils peuvent causer aux organes génitaux de la jeune fille.
Ensuite, les déperditions scolaires. Quand une jeune fille scolarisée est donnée en mariage, il est très probable qu’elle abandonne ses études. Parmi les autres conséquences, citons les grossesses non désirées, les désaccords entre les deux familles et au sein du ménage, le décès de la mère ou de l’enfant lors de l’accouchement et le suicide.
ANIMATEUR.TRICE:
En tant que ONGintervenant dans les questions liées à la santé reproductive, quelles sont vos stratégies pour participer à la réduction du mariage précoce et forcé des filles?
YACOUBA KONATE:
Nos stratégies comprennent la mise en place des comités de protection des enfants depuis le niveau village jusqu’au niveau local. Elles impliquent les juges de paix.
Deuxièmement, la mise en place de gouvernements d’enfants dans les écoles secondaires de premier cycle. Cela permet aux jeunes filles d’aller au lycée sans se fiancer en promouvant des comportements positifs tels que l’étude.
Enfin, le soutien financier aux groupes de femmes et de jeunes filles qui mènent des activités génératrices de revenus contribue à prévenir l’abandon scolaire et les mariages d’enfants.
ANIMATEUR.TRICE:
Comment aidez-vous les victimes de mariages précoces et forcés?
YACOUBA KONATE:
Il faut d’abord sensibiliser le couple Nous rencontrons donc ces survivants dans les groupes «Épargner Pour le Changement.» C’est l’occasion de leur expliquer l’avantage de la planification familialequi favorise la bonne santé de la mère et de l’enfant.
Nous les aidons, par l’intermédiaire de groupes spécialisés, à emprunter de l’argent, si nécessaire, pour mener à bien des activités génératrices de revenus.
ANIMATEUR.TRICE:
Avez-vous des conseils à donner sur la manière d’aborder le problème des mariages précoces et forcés?
YACOUBA KONATE:
Il faut d’abord sensibiliser les parents à l’importance de la scolarisation des filles et aux conséquences des mariages précoces et forcés. Ensuite, il faut sensibiliser les filles et les garçons à promouvoir un comportement qui rassure les parents sur le fait qu’ils ne les humilieront pas. En d’autres termes, il s’agit de sensibiliser les filles aux avantages d’éviter de tomber enceinte lorsqu’elles sont encore jeunes. Et amener les garçons à ne pas engrosser les filles qui n’ont pas l’âge requis pour le mariage.
ANIMATEUR.TRICE:
Merci Monsieur Konaté. Nous accueillons maintenant Fatoumata Diarra, une survivante du mariage précoce et forcé qui a réussi à se libérer de sa situation il y a plus de deux ans. Comment est-ce arrivé et comment l’avez-vous vécu?
FATOUMATA DIARRA:
C’est mon père qui m’a donné en mariage à un homme plus âgé que moi. À l’époque, j’étais au lycée et je n’avais que 14 ans. Il l’a fait sans nous consulter, ma mère et moi. Il nous a informés une semaine avant le mariage. De plus, c’était aussi proche de l’examen pour l’obtention de mon diplôme d’éducation de base. Connaissant la famille dont je suis issue, je savais que tant que je serais en vie, rien ni personne ne pourrait empêcher ce mariage d’avoir lieu.
Trois jours après l’annonce de mon mariage, j’ai essayé de fuir avec l’aide de quelques camarades de classe. J’ai essayé d’aller chez ma tante en ville, mais mon plan a échoué. Le petit frère de mon père nous a surpris.
Je ne connaissais même pas mon mari. C’est le jour du mariage que je l’ai vu pour la première fois. Lorsque qu’on m’a annoncé cette nouvelle de mariage qui sera plus tard la cause de l’abandon de mon école, cela m’a vraiment découragé. Moi qui étais la première de ma classe depuis le primaire, en voyant mes rêves s’envoler de la sorte, je ne pensais qu’à quitter ce monde. N’imaginez même pas notre nuit de noce. Une nuit terrible, remplie de désespoir et de souvenirs noirs.
ANIMATEUR.TRICE:
Quel impact le mariage précoce et forcé a-t-il eu sur votre scolarité et vos projets d’avenir?
FATOUMATA DIARRA:
En tant que fille et mineure, j’ai dû abandonner l’école malgré moi. Mes ambitions de faire de grandes études ont été stoppées. Mes parents n’ont même pas pensé à mon avenir et ne m’ont pas donné la chance d’atteindre au moins 18 ans avant de me marier. Finalement, je n’ai pas pu réaliser mes rêves de développer de grands projets pour aider les femmes et les enfants.
ANIMATEUR.TRICE:
Avez-vous l’impression que vos rêves ont été brisés?
FATOUMATA DIARRA:
Oui, car je rêvais d’être une avocate pour défendre les droits humains, précisément ceux des femmes. Mais ceci n’est plus réalisable. Après mon mariage forcé, mon mari m’a interdit l’école et je suis devenue un objet de maison.
ANIMATEUR.TRICE:
Comment êtes-vous arrivée à reconstruire votre vie?
FATOUMATA DIARRA:
Cela n’a pas été facile du tout. Après plusieurs années, grâce aux conseils de ma sœur aînée, elle aussi victime d’un mariage précoce et forcé, j’essaie de parvenir à mes fins. Elle m’a conseillé de me lancer dans les affaires. Elle m’a également incitée à participer à des séances de sensibilisation pour écouter les témoignages d’autres survivantes. Elle a souhaité que je m’inspire des cas de ces femmes et de la façon dont elles ont pu surmonter ces actes de violation pour s’éloigner du mariage forcé.
J’ai donc suivi ses conseils. C’est grâce à cela que j’ai pu supporter la vie dans ce foyer que je qualifie de ménage toxique. Un jour, lors de nos rencontres, j’ai pu briser le silence et raconter ce qui m’est arrivé. Ce jour-là, je me suis vraiment sentie libérée d’un poids qui pesait sur ma conscience. Après cela, j’ai décidé de mettre un terme à mon mariage. Cela n’a pas été facile. J’ai dû affronter mes parents – leurs représailles et malédictions. J’ai été renvoyée de l’école. J’ai été chassé de la maison et je suis allé vivre avec ma tante qui habite en ville.
ANIMATEUR.TRICE:
Avec le recul, quels conseils donneriez-vous aux parents pour préserver l’avenir de leurs filles?
FATOUMATA DIARRA:
Je souhaite que ce qui m’est arrivé n’arrive pas à d’autres filles. Je prie tous les parents de ne pas interrompre les études de leurs enfants au profit du mariage. Il faut qu’ils aident leurs enfants, surtout les filles, à atteindre leurs objectifs.
ANIMATEUR.TRICE:
Merci de nous faire part de votre expérience. Notre dernier intervenant d’aujourd’hui s’appelle Souleymane Traoré. Il est le directeur technique du centre de santé communautaire de Sébougou. En tant que médecin, il va nous parler des conséquences du mariage précoce et forcé sur la santé de la jeune fille. Ravi.e de vous recevoir sur ce plateau.
ANIMATEUR.TRICE:
Quelles sont les conséquences du mariage précoce et forcé sur la santé sexuelle et reproductive de la jeune fille?
SOULEYMANE TRAORE:
Elles sont nombreuses. Mais parmi elles, il y a la dyspareunie. Il s’agit d’une douleur ressentie par une femme dans la région génitale ou pelvienne pendant ou après un rapport sexuel.
Elle peut également provoquer une rupture du périnée* ou une rupture spontanée de l’utérus. Il peut y avoir une souffrance fœtale et l’enfant à naître peut mourir. La mère peut perdre la vie si le personnel médical n’intervient pas rapidement.
En cas de complication lors de l’accouchement, le sexe de la jeune fille peut être élargi jusqu’à l’anus. C’est ce qu’on appelle une fistule obstétricale. En l’absence d’un bon chirurgien pour réparer ce dégât, la fille subira ces conséquences toute sa vie. Et parfois, elle peut entraîner d’autres problèmes de santé. Au-delà des conséquences médicales, il y a aussi les conséquences psychiques. La jeune fille peut désormais avoir peur de s’approcher des gens, et même de son enfant.
ANIMATEUR.TRICE:
Quelles sont les complications auxquelles une jeune fille peut être confrontée si elle tombe enceinte prématurément?
SOULEYMANE TRAORE:
Beaucoup de complications peuvent survenir pendant l’accouchement. Parmi elles, nous pouvons citer la souffrance fœtale, les prématurés et l’anémie maternelle. Une grossesse dans le cadre d’un mariage précoce peut entraîner la maturation du bébé alors que la grossesse n’est que de 37 semaines. En général, on constate que les complications affectent l’enfant lorsque la mère est trop jeune pour avoir des enfants. Il ne se développe pas normalement dans l’utérus en raison de la petite taille du bassin de la mère.
Lors de l’accouchement, la forme et la taille du corps de la fille ont une influence sur son ventre et peuvent entraîner la chute de l’épaule du bébé ou la cassure de son bras. L’enfant peut également avoir un faible poids à la naissance, inférieur à 2,5 kg.
L’appareil génital de la femme peut également être endommagé lors du premier accouchement. Ces complications sont dues à l’immaturité de la jeune fille – son corps n’est pas prêt à concevoir. Pour cela, la mère et l’enfant doivent être pris en charge, soit au niveau du Centre de Santé Communauté, de l’hôpital ou du Centre de Santé et de Référence.
A préciser que les complications de la grossesse et de l’accouchement sont l’un des facteurs du décès des filles de 15 à 19 ans.
ANIMATEUR.TRICE:
Que peut-on faire pour les filles qui souffrent de telles complications lors de l’accouchement?
SOULEYMANE TRAORE:
Tout d’abord, les psychologues et les psychiatres s’occupent de la survivante, qui souffre souvent de détresse psychologique ou d’un traumatisme. Si elle est déprimée, l’agent de santé la rassure et la réconforte. Enfin, les chirurgiens interviennent lorsque le corps d’une jeune fille est physiquement endommagé à la suite d’un accouchement.
ANIMATEUR.TRICE:
Quels dommages l’accouchement peut-il causer à la mère et à la santé du nouveau-né pour les filles dont le corps n’est pas encore assez mûr pour l’accouchement?
SOULEYMANE TRAORE:
Après l’accouchement, la mère et l’enfant peuvent être affectés. La mère peut craindre les relations sexuelles après l’accouchement. La croissance et le développement de l’enfant peuvent être retardés par rapport à d’autres enfants du même âge.
ANIMATEUR.TRICE:
Chers auditrices et auditeurs, Chers auditeurs, nous sommes arrivés au terme de notre programme sur les causes et les conséquences des mariages précoces et forcés. Un grand merci à nos quatre intervenants pour la qualité de leurs présentations.
Retenons que le mariage précoce et forcé est une pratique néfaste qui prive les filles de leur enfance et les expose aux violences, aux viols, aux maladies sexuellement transmissibles, aux grossesses précoces et non désirées, aux complications pendant la grossesse et, éventuellement, aux avortements à risque. Le mariage précoce et le mariage forcé sont des problèmes majeurs contre lesquels il faut lutter.
Merci de nous avoir écoutés et à bientôt pour une nouvelle émission. D’ici là, portez-vous.
Définitions:
Anémie: Diminution des globules rouges (hémoglobine) dans le sang.
Souffrance fœtale: Dommage causé au fœtus en raison d’un manque d’oxygène ou d’une alimentation insuffisante. Elle peut survenir pendant la grossesse ou au moment de l’accouchement.
Périnée: La zone située entre les organes génitaux et l’anus.
Acknowledgements
Rédaction : Fatoumata Z. Coulibaly, Journaliste-Ecrivaine au Mali, Ségou.
Révision : Fatoumata Djiré, enseignante/formatrice genre et secrétaire administrative à CAFO Mali (Coordination des Associations et ONG Féminines du Mali).
Information sources
Coulibaly Mariam Kouyaté, experte sur les questions du genre et présidente de l’Association Djiguiya de Sébougou-Ségou. Interview réalisée en juin 2022.
Yacouba Konaté, coordinateur de l’ONG-Walé à Ségou. Interview réalisée le 16 juin 2022.
Fatoumata Diarra, survivante du mariage précoce et forcé vivant dans la région de San. Interview réalisée le 26 juillet 2022.
Souleymane Traoré, Directeur Technique du Centre de Santé Communautaire de Sébougou Ségou. Interview réalisée le 22 juin 2022.
Cette ressource a été produite grâce à l’initiative « HÉRÈ — Bien-être des femmes au Mali » qui vise à améliorer le bien-être des femmes et des filles en matière de santé sexuelle et reproductive et à renforcer la prévention et la réponse aux violences basées sur le genre dans les régions de Sikasso, Ségou, Mopti et le district de Bamako au Mali. Le projet est mis en œuvre par le Consortium HÉRÈ – MSI Mali, en partenariat avec Radios Rurales Internationales (RRI) et Women in Law and Development in Africa (WiLDAF) grâce au financement d’Affaires mondiales Canada.