L’avortement clandestin au Mali

SantéQuestions sociales

Notes au radiodiffuseur

L’avortement est l’interruption prématurée d’une grossesse. Au Mali, il existe plusieurs formes d’avortement l’avortement spontané, communément appelé « fausse couche » peut-être dû à une maladie ou n’avoir aucune cause connue. Il y a aussi l’avortement provoqué en dehors du cadre légal de son pays de résidence.

À part le Bénin, où l’avortement est légalisé, les autres pays d’Afrique de l’Ouest autorisent l’avortement dans des conditions bien définies : si la grossesse est le résultat d’un viol ou d’un inceste, ou si la vie de la mère est en danger.

Selon un rapport des Nations Unies datant de 2022, 50% des grossesses au Mali ne sont pas désirées. Ce qui pousse les jeunes filles et les femmes à faire des avortements provoqués clandestinement. Les mêmes données renseignent que près de 60% de femmes maliennes connaissent ce genre de situation.

Dans ce texte radiophonique, nous allons discuter avec trois individus : une femme victime de l’avortement clandestin, une sage-femme et un sociologue. Avec eux, nous parlerons des causes et conséquences de l’avortement clandestin. Nous discuterons également des circonstances dans lesquelles une femme peut légalement bénéficier d’une aide médicale pour avorter et des avantages de la sensibilisation pour sauver les jeunes filles des avortements clandestins.

Si vous voulez réaliser des programmes sur l’avortement clandestin, vous pourriez parler à une femme qui a subi un avortement clandestin, à une sage-femme et à des experts tels que des sociologues, des psychologues ou des travailleurs sociaux. Vous pourriez poser les questions suivantes à vos interlocuteurs :

  • Comment avez-vous vécu l’avortement clandestin?
  • Quelles sont les causes et les conséquences d’une telle pratique?
  • Que dit la loi de votre pays sur l’avortement?

Durée de l’émission, y compris l’intro et l’extro : 25 à 30 minutes.

Texte

ANIMATEUR.TRICE :
Fidèles auditeurs et auditrices, bienvenue dans votre émission hebdomadaire diffusée sur votre radio préférée.

Dans le studio, nous avons l’honneur de recevoir trois invités avec lesquels nous allons aborder le thème du jour qui est: l’avortement clandestin. Avec eux, nous discuterons des causes, des conséquences et des solutions envisageables pour éviter l’avortement clandestin qui met souvent en péril la vie de la femme.

Vous aurez d’abord le témoignage et la lutte que mène notre première invitée Madame Sitan Traoré, une institutrice d’alphabétisation qui sensibilise sa communauté au choix d’un avortement légal. Suivra l’intervention de notre deuxième invitée Madame Berthe Diarafa Sissoko qui est sage-femme au Centre médico-social de la commune V de Bamako. Enfin, nous aurons, en fin d’émission, le point de vue d’un sociologue sur la question. Il s’agit de Amos Goïta, enseignant-sociologue dans les universités privées à Ségou.

ANIMATEUR.TRICE :
Bonjour et bienvenue sur notre radio Mme Sitan Traoré!

SITAN TRAORE :
Bonjour et merci à vos auditeurs-trices qui nous écoutent.

ANIMATEUR.TRICE :
Vous avez subit un avortement clandestin dans votre jeunesse. Racontez-nous comment vous avez vécu cela?

SITAN TRAORE
:
C’est à mes 17ans que je me suis rendue compte que j’étais tombée enceinte. Ma relation n’étant pas approuvée par mes parents, j’étais paniquée à l’idée que cela se sache. Quand j’en ai parlé avec mon copain, il ne voulait pas d’un bébé et m’a recommandé de faire un avortement.

ANIMATEUR.TRICE :
Merci à vous Madame Sitan pour le courage que vous avez de nous raconter votre histoire. Alors, dites-nous qu’avez-vous décidé suite à la suggestion de votre copain?

SITAN TRAORE
:
Il m’a remis l’argent et il s’est aussi chargé de me trouver le médicament qui fera passer la grossesse qui était déjà à plus de six semaines. Nous nous sommes procurés le médicament que j’ai pris en priant pour que tout se passe bien. Malheureusement pour moi, cela n’a pas été le cas. J’ai commencé par perdre du sang, je ressentais des douleurs au bas-ventre, j’avais du vertige et je m’affaiblissais rapidement. Ma chance, c’est que j’étais en weekend chez ma grand-mère qui a été indulgente. Car, si mon père était au courant, j’aurais eu de sérieux ennuis.

ANIMATEUR.TRICE :
Comment vous en êtes-vous sortie?

SITAN TRAORE
:
Le troisième jour sans nouvelle de moi, ma grande sœur est passée voir si tout allait bien chez la grand-mère. Quand elle a remarqué l’état dans lequel j’étais, elle a compris tout de suite ce que je venais de faire. Elle a décidé de m’amener voir un infirmier qui a eu la gentillesse de me soigner en dehors de l’hôpital car il n’était pas possible de m’emmener directement aux urgences. Nous avions peur des questions qu’on pourrait nous poser car l’avortement aurait été illégal. Mais c’est surtout grâce à ces soins, que j’ai été remise sur pied, après avoir souffert pendant près de cinq jours.

ANIMATEUR.TRICE :
Une histoire touchante, mais dites-nous: est-ce qu’il y a eu des conséquences après les soins de l’infirmier?

SITAN TRAORE
:
Heureusement que non. Les soins de l’infirmier ont été possible grâce à ma sœur mais je sais que ce n’est pas le cas de toutes les filles qui subissent l’avortement clandestin.

ANIMATEUR.TRICE :
Pourquoi avez-vous décidez de sensibiliser votre communauté au choix de l’avortement légal?

SITAN TRAORE
:
Pour éviter aux femmes de subir le traumatisme lié à l’avortement mal pratiqué. Je vis avec les conséquences psychologiques d’un avortement clandestin et je ne souhaite pas que cela arrive à une autre femme. Si aujourd’hui je suis une mère comblée, cela n’a pas été évident au début de mon mariage. J’ai dû attendre quatre ans et subit des traitements médicaux avant de tomber enceinte. C’est pourquoi je profite de mon travail d’enseignante pour sensibiliser ma communauté.

ANIMATEUR.TRICE :
Comment procédez-vous pour sensibiliser votre communauté sur l’avortement légal?

SITAN TRAORE
:
J’anime des cours d’alphabétisation dans ma ville Kita, une localité située à près de 400 kilomètres de la région de Kayes au Mali. J’apprends à lire et à écrire à des hommes et des femmes majeures qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école. Au cours de nos cours, nous discutons des sujets qui touchent à la vie sociale de la communauté. L’avortement clandestin étant un sujet qui mine notre société, j’en parle avec les parents pour trouver avec eux, la manière d’intégrer l’éducation sexuelle dans l’éducation de leurs enfants depuis la maison.

ANIMATEUR.TRICE :
Quels conseils avez-vous à l’endroit des jeunes et des parents?

SITAN TRAORE
:
Je profite de votre antenne pour appeler la jeunesse surtout la jeune fille à la patience. Quand on est jeune, profitons de la jeunesse pour nous instruire, nous former, faire des choses qui seront utiles pour notre avenir. Et pour les jeunes qui ne peuvent pas se retenir de pratiquer le sexe, humblement, je leur conseille d’utiliser les méthodes de protection telles que les pilules ou les préservatifs. Quant aux parents, je les invite à créer une relation plus étroite avec leurs enfants afin de cultiver la confiance. Ainsi, leurs enfants n’auront plus peur de se confier à eux quand ils ont des problèmes.

ANIMATEUR.TRICE :
Nous vous remercions Mme Sitan Traoré d’avoir répondu à notre invitation. Poursuivons avec notre deuxième invitée, Madame Berthe Diarafa Sissoko qui est sage-femme au Centre médico-social de la commune V de Bamako. Bonjour et bienvenue à vous Mme Berthe.

BERTHE DIARAFA
:
Bonjour à vous et à tous nos amis derrière leurs postes. Merci de me recevoir sur votre radio.

ANIMATEUR.TRICE :
Nous parlions de l’interruption volontaire et clandestine des grossesses. Selon vous quels peuvent en être les conséquences?

BERTHE DIARAFA
:
Tout d’abord il faut noter que la loi du Mali interdit l’avortement sauf dans des cas exceptionnels de viol, d’inceste ou de danger pour la mère. Ce qui pousse la plupart des jeunes femmes qui veulent se faire avorter à le faire clandestinement. En plus de cela, la société Malienne est très attachée à la religion. Lorsque qu’une femme se risque à l’avortement, elle est vue par sa communauté comme un paria. Enfin, les conséquences physiques possibles sont entre autres les infections, les évacuations incomplètes, les perforations de l’utérus, les hémorragies ou encore les lésions de l’appareil génital de la femme. Les avortements clandestins peuvent amener des complications chez la femme qui conduisent parfois à la mort.

ANIMATEUR.TRICE :
Dites-nous Mme Diarafa, avez-vous un dispositif au niveau de votre centre médical pour accompagner les femmes ou jeunes filles qui décident de se faire avorter?

BERTHE DIARAFA
:
Nous n’avons pas un réel dispositif mis en place au sein de nos services. Mais nous recevons très peu de jeunes femmes qui veulent mettre fin à leurs grossesses de peur d’être jugée par les ainées. Ces jeunes femmes préfèrent se faire avorter clandestinement. Quand nous les recevons, le mal est déjà fait et elles viennent dans un état déplorable où il faut vite agir pour leur sauver la vie. Il faut aussi dire qu’en tant que sage-femme, quand nous recevons des jeunes femmes en début de grossesse, nous les accompagnons avec des conseils en leur disant ce qu’elles doivent faire et les choix dont elles disposent.

ANIMATEUR.TRICE :
Quels conseils avez-vous à l’endroit de la jeunesse malienne surtout les jeunes filles qui ont recours à l’interruption clandestine d’une grossesse?

BERTHE DIARAFA
:
D’abord, je voudrais préciser que l’avortement n’est autorisé au Mali que dans le cadre d’un viol, d’un inceste ou encore en cas de malformation du fœtus plutôt la vie de la mère si cette dernière est en danger. Si, en tant que jeune fille, vous vous trouvez dans un cas de viol, d’inceste ou de malformation du fœtus, il n’y a aucune garantie que vous puissiez obtenir un avortement légal. C’est pourquoi je conseille aux jeunes filles, mais aussi aux jeunes hommes, d’avoir recours à l’avortement légal. Alors je conseille aux jeunes filles et aussi aux jeunes hommes de se protéger lors des actes sexuels lorsque vous savez que vous ne pouvez pas pratiquer l’abstinence. Aujourd’hui, il y a des programmes de planning familial dans presque tous les centres médico-sociaux. Il y a aussi des services gratuits de certaines ONG qui aident les jeunes qui veulent se protéger des grossesses indésirables et des maladies sexuellement transmissibles. Le planning familial est aussi une solution envisageable donc je vous conseille de toujours faire le bon choix

ANIMATEUR.TRICE :
Nous disons un sincère merci à Madame Berthe Diarafa Sissoko qui nous a éclairés avec toutes ces réponses. A présent, recevons notre troisième invité: Monsieur Amos Goïta, un sociologue qui enseigne dans les universités privées à Ségou. Bonjour M. Amos, bienvenue dans notre émission.

AMOS GOÏTA :
Merci de me recevoir sur votre plateau.

ANIMATEUR.TRICE :
Dites-nous, quel est le regard de la société malienne sur l’avortement clandestin?

AMOS GOÏTA :
La société malienne a un regard très sévère sur l’avortement clandestin. De base, le Mali est un pays qui est à majorité musulmane et selon l’islam, l’avortement clandestin est haram ou interdit. Et les textes de lois qui régissent le pays aussi vont dans le même sens. Alors, quand une femme se retrouve dans ce cas, elle est stigmatisée par ces ainés et mise à l’écart.

ANIMATEUR.TRICE :
Que peut-on faire changer le regard de la société et même suscité un changement au niveau de la loi sur l’avortement clandestin?

AMOS GOÏTA :
La vie humaine est sacrée aux yeux de la société malienne donc l’avortement en soi est très mal vu. Je pense que les maliens sont tellement attachés aux valeurs sociétales que rien ne pourra changer de ce côté-là. Ce que nous pouvons faire, c’est lever les tabous sur la sexualité et l’éducation sexuelle pour pouvoir en parler librement. Il sera ainsi plus facile de parler de tous les sujets liés à la sexualité avec les adolescents et adolescentes.

ANIMATEUR.TRICE :
Monsieur Amos nous vous remercions pour votre intervention.

Selon les réactions de nos invités, nous pouvons retenir que l’avortement n’est autorisé au Mali que si elle résulte d’un viol, de l’inceste ou que la grossesse met en danger la vie de la future maman. Nos invités ont aussi insisté sur l’importance pour les parents de parler de la sexualité avec leurs enfants en famille. La sensibilisation reste un levier important pour que le changement de comportement soit possible. Nous voici à la fin de notre émission d’aujourd’hui. Nous disons un sincère merci à tous nos invités et à vous toutes et tous qui nous suivez. Rendez-vous la semaine prochaine pour une nouvelle émission.

Acknowledgements

Remerciements

Contributions de : Assibavi Sika Isabelle AGBOGBE, journaliste indépendante, consultante en affaires radio.

Revue par : Lalia Diop, responsable de la formation et de l’assurance qualité, MSI Mali, et formatrice des prestataires de services en santé de la reproduction/soins post-avortement.

Interviews :

Madame Sitan Traoré, enseignante en alphabétisation à Kita, Mali, et survivante d’un avortement clandestin. Entretien réalisé le 20 avril 2023.

Madame Berthe Diarafa Sissoko, sage-femme, Centre Médico-Social (CMS), Commune V de Bamako. Entretien réalisé le 26 avril 2023.

Monsieur Amos Goïta, enseignant et sociologue dans des universités privées à Ségou. Entretien réalisé le 29 avril 2023.

Information sources

Sources d’information :

Organisation mondiale de la Santé, 2021. Avortement. https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/abortion

UNFPA Mali, 2022. Comprendre L’Imperceptible : Agir Pour Résoudre La Crise Oubliée Des Grossesses Non Intentionnelles. https://mali.unfpa.org/sites/default/files/pub-pdf/brochure_swop_2.pdf

 

Cette ressource a été produite grâce à l’initiative « HÉRÈ — Bien-être des femmes au Mali » qui vise à améliorer le bien-être des femmes et des filles en matière de santé sexuelle et reproductive et à renforcer la prévention et la réponse aux violences basées sur le genre dans les régions de Sikasso, Ségou, Mopti et le district de Bamako au Mali. Le projet est mis en œuvre par le Consortium HÉRÈ – MSI Mali, en partenariat avec Radios Rurales Internationales (RRI) et Women in Law and Development in Africa (WiLDAF) grâce au financement d’Affaires mondiales Canada.