Inégalités de genre en matière de droits fonciers en Afrique

Égalité des genresRégime foncier

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1. Introduction

La terre est une ressource économique et de subsistance essentielle pour les femmes en Afrique. La plupart des femmes dépendent de la terre pour leur subsistance et sont responsables d’une grande partie de la production agricole. En Afrique subsaharienne, les femmes représentent près de 50 % des travailleurs agricoles. Mais beaucoup de femmes ne possèdent pas de terres ou ont des droits fonciers limités et peu garantis. Le rôle important que jouent les femmes rurales dans l’agriculture signifie que l’insécurité des droits fonciers menace leur bien-être et celui de leurs enfants et de leurs communautés.

Accroître l’accès des femmes à la terre est un moyen de renforcer l’égalité des sexes et de réaliser d’autres objectifs de développement importants. A ce jour, les efforts visant à améliorer l’accès des femmes à la terre se sont concentrés sur les terres agricoles. Cette orientation doit être élargie pour inclure l’accès à d’autres ressources liées à la terre comme les forêts, l’eau, les minéraux et l’espace urbain.

2. Régime foncier coutumier et droit des femmes à la terre

Le régime foncier coutumier peut être défini comme les systèmes de lois, de règles et de normes qui octroient des droits sur la terre et sur les ressources naturelles. Les régimes fonciers coutumiers sont au cœur de l’identité de nombreuses communautés africaines et sont souvent considérés comme plus importants que les lois officielles. Ces lois, règles et normes sont appliquées par une autorité autre que le gouvernement et doivent être suivies par tous. Les systèmes coutumiers sont généralement gérés par un chef de village ou de terre, un chef traditionnel ou un conseil des anciens. Les hommes occupent habituellement ces rôles. Ce qui signifie que les femmes ont peu de pouvoir de décision au sein de leur famille et sont aussi largement incapables de contester les violations de leurs droits par le biais de structures coutumières qui favorisent traditionnellement les hommes. Ainsi, la restructuration des régimes fonciers coutumiers est un élément important de la création d’un système plus équilibré de droits fonciers tant pour les femmes que pour les hommes.

Divers pays africains ont maintenant des lois foncières communautaires qui permettent aux communautés rurales d’enregistrer leurs terres en tant qu’entité juridique unique et d’administrer, de gérer et de conserver leurs terres au niveau communautaire. Ces lois appellent également à l’inclusion du genre dans ces législations et accords. Par exemple, certaines lois font spécifiquement référence à l’égalité des droits fonciers des hommes et des femmes, tandis que d’autres exigent que les femmes soient représentées dans les structures administratives foncières.

Cependant, il reste encore un long chemin à parcourir. Une étude menée au Sénégal et au Mozambique a montré qu’il n’y a pas assez de femmes dans les structures décisionnelles, même dans les communautés où les relations sont fondées sur la lignée familiale de la mère. D’autres recherches menées au Malawi et en Zambie ont montré que même dans les communautés où les femmes peuvent hériter directement de la terre de leur mère, les maris prennent généralement les décisions concernant cette terre. De même, au Rwanda, où les lois favorisent les droits fonciers des femmes, les conceptions traditionnelles des rôles des hommes et des femmes continuent à affaiblir les droits fonciers des femmes (voir encadré 1).

Encadré 1 : Les rôles traditionnels des hommes et des femmes continuent de remettre en cause les droits fonciers des femmes

Une étude menée au Rwanda a montré que, sur la base de leurs rôles traditionnels ou coutumiers, les hommes et les femmes prennent part à différents domaines du pouvoir et de la prise de décision. En général, les femmes ont moins facilement accès aux ressources et aux possibilités que les hommes. Le concept d’égalité entre les sexes encourage l’égalité d’accès, quel que soit le sexe. Comprendre cela permet d’expliquer la manière dont les décisions liées à la terre affectent la vie rurale. Par exemple, les femmes croient « qu’une bonne épouse fait preuve de patience à l’égard des décisions de son mari et obéit, même si elle est en désaccord ». Cette croyance selon laquelle les femmes devraient garder le silence pour maintenir la paix affecte leur capacité d’avoir leur mot à dire dans les décisions foncières qui les concernent.

 

Une autre préoccupation est que les lois coutumières sur la propriété foncière n’établissent parfois pas de mesures pour s’assurer que les dirigeants communautaires sont responsables devant les membres de la communauté. Par exemple, il peut y avoir peu de détails sur où et comment les membres de la communauté peuvent exprimer leurs plaintes ou comment les communautés peuvent renverser des décisions qui ne sont pas dans leur meilleur intérêt. Il se peut également qu’il n’y ait pas de sanctions pour les activités qui privent les femmes de droits fonciers égaux.

Quelles sont les implications de l’insécurité des droits fonciers pour les femmes ?

Pour les femmes rurales, l’accès aux ressources foncières et le contrôle de ces ressources peuvent leur procurer de la richesse, tandis que le manque d’accès et de contrôle peut entraîner la pauvreté rurale. Il est donc important de garantir les droits fonciers des femmes pour améliorer leur condition dans la société ainsi que le développement économique et social en général.

Les femmes sont plus disposées à investir de l’argent, de la main-d’œuvre et d’autres ressources dans des activités agricoles qui peuvent leur rapporter un revenu quand elles ne se battent pas pour la terre. Ils sont également plus enclins à conserver la terre en pratiquant des méthodes agricoles respectueuses de l’environnement qui contribuent à économiser l’eau et à la préservation de la santé des sols. En effet, de plus en plus de recherches montrent que la participation des femmes à la prise de décisions politiques concernant les ressources terrestres peut se traduire par une meilleure utilisation et un meilleur contrôle des ressources parce que les femmes apportent de nouvelles idées et de nouvelles perspectives sur la façon dont les ressources peuvent être gérées.

Encadré 2 : Résumé des principaux faits concernant les droits fonciers des femmes en Afrique subsaharienne

  • En Afrique subsaharienne, les femmes représentent 48,7% de la main-d’œuvre agricole, mais ne possèdent que 15% des terres agricoles.
  • Les terres que les femmes sont autorisées à contrôler sont généralement de moindre qualité et de plus petite superficie.
  • La capacité des femmes à contrôler leur propre vie augmente lorsqu’elles ont des droits fonciers garantis.
  • Les femmes qui ont des droits fonciers sûrs ont tendance à utiliser leurs terres de manière plus productive.
  • Les femmes qui ont accès à la terre en toute sécurité améliorent la nutrition de leur ménage.

Les défis de l’égalité des sexes en matière de propriété foncière

a) Tradition
Traditionnellement, la plupart des communautés africaines confient le contrôle total de la terre aux hommes et font preuve de discrimination à l’égard de la propriété et du contrôle de la terre par les femmes. Dans de tels cas, les femmes ne peuvent accéder à la terre que par l’intermédiaire de parents masculins, même si les femmes sont les principales utilisatrices de terres dans l’agriculture. Il en résulte des conflits fonciers et la résolution de ces conflits qui désavantagent les femmes.

Les femmes sont également marginalisées dans l’accès aux terres urbaines pour le logement et d’autres usages. Par exemple, des recherches menées au Sénégal ont montré que très peu de femmes avaient accès à une parcelle résidentielle par achat ou héritage – ou même par l’intermédiaire des autorités municipales, même s’il existe des dispositions légales qui donnent la priorité aux femmes en ce qui concerne l’accès aux terres.

b) Manque de sensibilisation aux lois et aux mesures visant à résoudre les problèmes liés à la terre
Cette situation est aggravée par le grand nombre de femmes rurales analphabètes, le manque de temps des femmes et le petit nombre de femmes qui travaillent ou ont accès aux structures et aux processus décisionnels. La méconnaissance de leurs droits, ainsi que des facteurs financiers et culturels limitent également la capacité des femmes à demander justice lorsque leurs droits sont violés.

c) Accès inégal et limité aux opportunités telles que les finances et les intrants agricoles
Les opportunités sont généralement réservées aux hommes, y compris les opportunités de participer à des activités génératrices de revenus, les opportunités de recevoir les intrants distribués, et les opportunités de participer à des programmes de financement. De ce fait, la capacité des femmes à utiliser efficacement la terre est limitée. Par exemple, lorsque l’irrigation a été introduite dans un projet de développement en Gambie où les femmes étaient les principales productrices de riz, 87% des terres améliorées ont été enregistrées au nom des hommes, alors que seulement 10% ont été attribuées aux femmes.

d) Les idées fausses courantes sur les droits fonciers des femmes

  • Les femmes possèdent 1 à 2 % des terres du monde. Il n’y a pas de données claires pour justifier ce chiffre. Les pourcentages varient considérablement d’un pays à l’autre.
  • L’amélioration de la capacité des femmes d’accéder à la terre, de la contrôler et d’en devenir propriétaires renforcera leur pouvoir de négociation et augmentera leurs revenus. Bien que des droits fonciers garantis soient bénéfiques, les femmes font face à de nombreux défis lorsqu’il s’agit d’augmenter leurs revenus et leur pouvoir de négociation. Les revenus et le pouvoir de négociation des femmes sont encore fortement influencés par les perceptions culturelles du genre. Ainsi, l’amélioration de leur accès à la terre ne suffira peut-être pas à elle seule à renforcer leur pouvoir de négociation ou à augmenter leurs revenus.

e) Impact prévisible du changement climatique sur les droits fonciers des femmes

  • Les catastrophes naturelles telles que les inondations et les sécheresses peuvent réduire la valeur des terres des femmes en raison de leur accès plus difficile aux ressources et aux opportunités.
  • Menaces accrues de la part d’autres utilisateurs à mesure que les sécheresses et les inondations s’aggravent.
  • Au fur et à mesure que les sécheresses et les inondations augmenteront, davantage de femmes seront déplacées de leurs terres.
  • Le changement climatique rend urgente la sécurisation foncière des terres et des ressources naturelles.
  • La garantie des droits fonciers des femmes contribuera à la lutte contre le changement climatique.

3. Efforts positifs en faveur de la garantie des droits fonciers des femmes

Réponses régionales africaines
Les gouvernements africains se sont fermement engagés à s’attaquer aux problèmes des droits fonciers des femmes. On trouvera ci-après certaines des déclarations de politique générale que l’Union africaine (UA) soutient en tant que moyens d’améliorer les droits fonciers des femmes. Les États membres de l’UA ont entrepris des efforts pour modifier leur législation afin de se conformer aux engagements décrits ci-dessous. Ces efforts sont renforcés par la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), un engagement mondial qui soutient l’égalité des droits fonciers des femmes.

Encadré 3 : Déclarations de politique générale de l’Union africaine concernant les femmes et les droits fonciers
Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (1981)

  • Interdit toute injustice à l’égard des femmes et protège les droits des femmes conformément aux accords internationaux.
  • Promet de fournir des ressources financières pour mettre en œuvre tous les droits.

Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique (2003)

  • Veiller à ce que les gouvernements donnent suite à leurs promesses de fournir des ressources pour les droits fonciers des femmes.
  • Exige des gouvernements qu’ils améliorent l’accès des femmes à la terre et le contrôle qu’elles exercent sur la terre.
  • Exige des gouvernements qu’ils encouragent la participation des femmes à la prise de décisions à tous les niveaux.

Cadre & Lignes directrices sur la politique foncière en Afrique (2009)

  • Reconnaît que le traitement inéquitable des femmes en ce qui concerne les questions foncières est un problème qui affecte leurs moyens de subsistance.
  • Encourage les lois qui permettent aux femmes de formuler des revendications territoriales, d’hériter et de transférer des terres, de devenir copropriétaires de terres et de contribuer à la gestion et à l’administration des terres.
  • Suggère qu’un soutien financier suffisant soit mis à disposition pour que les lois soient appliquées.

Les Principes directeurs de l’Union africaine sur les investissements fonciers à grande échelle (2014)

  • Souligne la nécessité de renforcer les droits des femmes à la propriété, à l’accès, au contrôle et à l’utilisation des terres, ainsi qu’aux investissements fonciers à grande échelle en faveur des femmes.
  • Souligne l’importance de la participation des femmes à la prise de décisions sur les terres en ce qui concerne la négociation des avantages, de la compensation et des conditions.
  • Reconnaît l’importance de l’égalité des sexes dans le domaine foncier et les lois relatives à la terre.

Réponses des pays

Les pays africains ont commencé à modifier leurs lois foncières pour garantir les droits fonciers des femmes. Au Sénégal, les organisations de développement ont permis d’accroître le soutien du public aux droits fonciers des femmes dans la vallée du fleuve Sénégal, où la communauté et le gouvernement local ont accordé aux groupements féminins des droits collectifs sur la terre. Au Rwanda, le gouvernement a apporté d’importants changements au régime foncier afin de donner aux femmes les mêmes droits fonciers qu’aux hommes en vertu de la loi. Le Kenya a accordé aux hommes et aux femmes des droits fonciers égaux en protégeant spécifiquement les droits fonciers coutumiers des femmes là où il y a souvent plus d’obstacles.

Les constitutions de certains pays accordent désormais aux femmes l’égalité d’accès à la terre, certains affirmant la nécessité d’inclure les femmes dans les décisions concernant l’utilisation et la gestion des terres. Par exemple, la Constitution ougandaise s’attaque désormais à l’injustice à l’égard des femmes et leur garantit les mêmes droits à la terre que les hommes. Au Ghana, la Constitution préconise aujourd’hui que les femmes participent pleinement au développement économique. Ce changement est le fruit du travail d’un réseau de défense des droits de la femme qui s’est entretenu avec de nombreuses organisations de défense des droits des femmes, des chercheurs, le secteur informel, des jeunes et des étudiants pour faire pression sur le gouvernement afin d’éliminer toute différentiation entre hommes et femmes.

Au Rwanda, la Constitution tente d’assurer l’égalité d’accès à la terre pour différents groupes de femmes. L’article 11 de la Constitution de 2004 dispose que les femmes, mariées ou non, ne doivent pas être exclues de l’accès à la terre, de l’achat de terres, du contrôle des terres et du processus de succession familiale des terres. Au Kenya, la loi sur le droit successoral garantit aux enfants de sexe masculin et féminin un traitement égal en ce qui concerne leur droit d’hériter des biens de leurs parents.

4. Conclusion

 

Les femmes sont encore désavantagées pour ce qui est de leur accès à la terre et de leur capacité à prendre des décisions concernant les terres qu’elles utilisent. Les femmes et leurs alliés doivent faire encore plus pour faire respecter leurs droits. Certains progrès ont été réalisés. Il y a maintenant plus de politiques et de lois foncières et de constitutions favorisant la protection des droits fonciers des femmes. Toutefois, nombre de ces mesures n’ont pas été pleinement mises en œuvre. Il est nécessaire d’intensifier les efforts politiques pour faire en sorte que les femmes soient placées au centre de l’utilisation et de la gestion des terres au sein de leurs communautés.

Définitions

Régime foncier coutumier : Lois, règles et normes régissant les droits à la terre et aux ressources naturelles qui sont respectés par une autorité autre que l’État et auxquels souscrit un collectif défini par des caractéristiques autres que la citoyenneté nationale.

Les droits d’utilisation : Les droits relatifs à l’utilisation des terres sont déterminés par la loi, les coutumes locales, les accords mutuels ou par d’autres entités qui détiennent des droits d’accès.

Sources d’information et lectures complémentaires

Billings, L; Meinzen-Dick, R; and Mueller, V. Implications of community-based legal aid regulation on women’s land rights. IFPRI Research Brief May 2014, No. 20. Downloadable at http://www.ifpri.org/publication/implications-community-based-legal-aid-regulation-women%E2%80%99s-land-rights (636 KB)

Cotula, L, Toulmin, C., and Quan, J., 2006. Better land Access for the Rural Poor: Lessons from experience and Challenges ahead. IIED, FAO. https://pubs.iied.org/pdfs/12532IIED.pdf (266 KB)

Doss, C., et al, 2018. Women in agriculture: Four myths. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2211912417300779

FAO, 2011. Governing Land for Women and Men Gender and Voluntary Guidelines on Responsible Governance of Tenure of Land and other Natural Resources. Land Tenure Working Paper 19. Downloadable at https://landportal.org/library/resources/rwanda-land-research-90/governing-land-women-and-men-gender-and-voluntary

Landesa. 2018. Women gaining ground: Secure land rights as a critical pillar of climate change strategy. https://www.landesa.org/wp-content/uploads/LCWLR_WomenGainingGround.pdf (455 KB)

Land Links, 2016. Fact sheet: land tenure and women’s empowerment. https://www.land-links.org/issue-brief/fact-sheet-land-tenure-womens-empowerment/

Land Portal, 2018. Myths about rural women. https://landportal.org/blog-post/2016/10/three-myths-about-rural-women

Odeny, M., 2013. Improving Access to Land and strengthening Women’s land rights in Africa. https://web.law.columbia.edu/sites/default/files/microsites/gender-sexuality/odeny_improving_access_to_land_in_africa.pdf

Pujol-Mazzini, 2016. “Feminine” virtues blamed for unequal land rights in Rwanda. https://af.reuters.com/article/commoditiesNews/idAFL8N18Z4RU

The Huairou Commission & UNDP, 2014. Engendering Access to Justice: Grassroots Women’s Approaches to Securing Land Rights. New York: UNDP. Downloadable from https://www.undp.org/content/undp/en/home/librarypage/democratic-governance/access_to_justiceandruleoflaw/Engendering-access-to-justice.html (1.03 MB)

Acknowledgements

Rédaction : Sue Mbaya, Directrice de l’Union africaine, Crisis Action/Action de crise

Ce ressource a été réalisé avec l’appui financier du gouvernement du Canada agissant par l’entremise d’Affaires mondiales Canada