Notes au radiodiffuseur
La sécurité alimentaire au niveau national ne peut pas être atteinte si elle n’est pas réalisée au niveau des ménages. Dans toute l’Afrique, les femmes représentent le gros de la main d’œuvre dans les fermes. Mais elles n’ont guère voix au chapitre au niveau de l’utilisation de la terre, ce qui affecte énormément la production alimentaire.
En septembre 2010, le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) a organisé à Nairobi une conférence internationale sur l’accès des femmes à la terre. Le présent texte est basé sur un cas partagé durant la conférence. Il souligne les succès remportés par les femmes dans la lutte pour leurs droits à la terre et à la propriété au Kenya. Le texte reconnaît également le rôle des organisations locales dirigées par des femmes dans le développement communautaire. Les efforts de ces organisations sont rarement soulignés. Habituellement, lorsque les gens parlent des contributions au développement, ils regardent ce que le gouvernement a fait et ce que les donateurs font. Mais le travail des femmes au niveau local n’est pas mentionné.
Le texte aborde également l’inégalité des sexes dans l’attribution des terres, la prise des décisions au sein de la famille élargie, la place des femmes et des enfants dans les conflits fonciers et le rôle des gouvernements locaux dans la protection des femmes et des enfants contre la discrimination. Vous pouvez adapter ce texte à votre situation locale en interviewant un expert local sur la sécurité alimentaire et les droits fonciers ou en mettant en vedette une étude de cas fructueuse dans votre région. Veuillez garder à l’esprit que le présent texte parle de la situation au Kenya. Les lois et les coutumes concernant les femmes et les droits fonciers varient d’un pays africain à l’autre. Avant de réaliser une émission sur ce sujet, vous devrez donc effectuer quelques recherches locales en vue de bien cerner la situation dans votre région.
Le présent texte repose sur des entrevues réelles. Vous pourriez vous en inspirer pour faire des recherches et rédiger un texte sur un sujet semblable dans votre région. Ou encore vous pourriez choisir de produire ce texte dans votre station en utilisant des voix d’acteurs pour représenter les gens qui parlent. Si tel est le cas, veuillez vous assurer de prévenir votre auditoire, au début de l’émission, que les voix sont celles d’acteurs et non pas des personnes initialement impliquées dans les entrevues.
Texte
Montée de l’indicatif musical (10 secondes) puis fondu enchaîné sous la voix de l’animateur
Animateur:
Bonjour, chers auditeurs et auditrices et bienvenue à notre émission. Cette semaine, nous allons nous pencher sur les droits des femmes à la propriété, et en particulier sur la façon dont la discrimination en matière de possession des terres affecte la sécurité alimentaire des ménages et l’ensemble du développement communautaire. Nous allons entendre l’histoire d’une mère et de ses quatre enfants qui sont obligées de quitter leur maison après la mort de leur mari et père. Restez à l’écoute.
Montée de l’indicatif musical puis fondu enchaîné et sortie
Animateur:
Permettez-moi de souhaiter la bienvenue à Mme Zipporah Wanyama, qui est venue dans notre studio pour partager son histoire remplie d’espoir. Zipporah vient du village de Shibuye dans le district de Kakamega Est, situé dans l’ouest du Kenya. Vous m’avez dit que vous avez été expulsée de votre maison. Que s’est-il passé?
Zipporah:
Merci de m’avoir invitée à cette émission. Mon mari est décédé il y a environ un an à la suite d’une brève maladie. Après son enterrement, ses frères ont emménagé dans ma maison. Ils m’ont dit que maintenant que leur frère était mort, je n’avais aucun droit de continuer à demeurer dans le
compound. Ils ont emporté des chaises et des sièges et d’autres biens de la maison.
Mon mari était un enseignant au primaire. Ses frères ont réclamé ses prestations auprès de la commission nationale en charge des enseignants, sans même m’informer de leurs plans. Lorsque je m’en suis rendu compte, l’argent leur avait déjà été versé. Mon mari possédait deux hectares de terre qui étaient enregistrés à son nom. Cette terre m’a été refusée parce que mes enfants étaient des filles.
Animateur:
Comment tout cela vous a-t-il affectée?
Zipporah:
J’étais vraiment bouleversée et pas seulement à cause des gestes posés par la famille de mon mari. Également à cause des membres de ma collectivité qui, selon moi, auraient dû se tenir à mes côtés durant cette période difficile, alors que je vivais le deuil de mon mari, mais qui sont demeurés silencieux pendant que ma famille élargie me persécutait. Je mangeais et je dormais à peine. J’ai maigri et je ne pouvais même plus m’occuper de mes enfants. Un autre élément important, c’est que ma relation avec la famille de mon mari n’était pas bonne. Je ne savais pas ce qu’ils pensaient de moi et de mes enfants. Dans mon esprit, je pensais qu’ils appuyaient le genre de traitement que je recevais. Je suis donc retournée chez mes parents.
Animateur:
Qu’est-il arrivé aux enfants?
Zipporah:
Je les ai emmenées avec moi. Je ne pouvais en aucune façon les abandonner. Elles avaient déjà manqué un mois d’école et elles ne pouvaient pas étudier le ventre vide. Nous n’avions pas de nourriture. Mes beaux-parents refusèrent ma demande de faire pousser du maïs sur la ferme familiale.
Montée de l’indicatif musical (10 secondes) puis sortie en fondu enchaîné
Animateur:
Violet Shivutse est membre de GROOTS, un mouvement national d’organisations locales dirigées par des femmes au Kenya. Bienvenue à notre émission, Mme Shivutse. Commencez par nous dire pourquoi votre organisation est intervenue dans le cas de Zipporah.
Mme Shivutse:
Merci. Nous travaillons comme dispensateurs de soins pour les personnes atteintes du VIH et du sida à Kakamega, Gatundu, Kendu Bay et dans d’autres régions du Kenya où le VIH est très répandu. Nous nous sommes rendu compte que de nombreuses femmes comme Zipporah souffraient non seulement du VIH et du sida, mais qu’elles avaient un autre problème. Lorsqu’elles perdaient leur mari, elles étaient chassées de leur foyer et n’étaient pas autorisées à hériter des biens de leur mari.
Animateur:
Les beaux-parents de Zipporah l’avaient empêché d’hériter des biens de son mari. Quelles raisons avaient–ils données pour cela?
Mme Shivutse:
Il n’y avait pas de raison particulière. Dans la plupart des collectivités, lorsqu’un mari décède, la femme s’occupe du deuil et des préparatifs pour l’enterrement. Les obligations pour les funérailles, comme les permis, sont généralement assumées par les beaux-frères. Ils aident également la veuve à obtenir les documents nécessaires pour la succession, qui reconnaissent sa relation avec son mari et certifient que la terre lui appartient légalement. Malheureusement, ils gardent ces documents au lieu de les donner à la veuve.
Par exemple, dans ma collectivité, il est obligatoire que la veuve porte le deuil pendant 40 jours et suive une cérémonie de purification. Pendant que la veuve vit encore son deuil à la maison, le beau-frère obtient le certificat de décès et réclame toutes les prestations.
Animateur:
Est-il facile d’obtenir ces documents?
Mme Shivutse:
L’administration provinciale portait également une partie du blâme dans ce cas. Elle remettait les documents à quiconque les demandait. La corruption est aussi un facteur important dans ce dossier. La personne demandant la lettre de succession l’obtient moyennant la remise d’une somme d’argent.
Dans d’autres cas, la femme peut ne pas avoir d’enfants ou avoir seulement des filles, qui n’ont pas le droit de posséder des terres dans la collectivité.
Animateur:
Quelle mesure avez-vous prise dans cette situation précise?
Mme Shivutse:
Lorsque nous avons parlé à GROOTS Kenya de la situation de cette femme et de bien d’autres, ils nous ont aidées à effectuer un exercice approfondi de cartographie. Cela nous a permis de comprendre les problèmes qui entourent l’héritage des biens, la réaction des diverses institutions et l’attitude de la collectivité face à ces questions.
Avec nos constatations, nous avons convoqué une rencontre pour obtenir les rétroactions de la collectivité, à laquelle nous avons invité le chef, l’agent de district et le commissaire de district. Zipporah a livré un témoignage au cours de cette rencontre. Elle paraissait frêle. Personne ne pouvait croire qu’elle était l’épouse de l’enseignant décédé, dont tout le monde savait qu’il était bien nanti.
Animateur:
Qu’est-il ressorti de cette rencontre?
Mme Shivutse:
La collectivité a résolu de former des groupes communautaires de surveillance des terres et des biens. Ces groupes surveillent la façon dont l’administration provinciale et le tribunal foncier réagissent aux cas de succession impliquant des femmes. De cette façon, ces institutions sont tenues responsables. Nous avons invité le secrétaire permanent du ministère de l’Administration provinciale à l’une de ces rencontres et il nous a aidées à concevoir une stratégie de travail pour les groupes communautaires de surveillance. L’une de nos stratégies consiste à organiser des forums durant lesquels les membres de la collectivité sont informés des droits existants en matière de biens et de terres. Ils sont également mis au courant des croyances culturelles dommageables qui font souffrir les femmes.
Animateur:
Que dit la loi à propos de l’héritage de terres et de biens pour les femmes et les enfants?
Mme Shivutse:
En théorie, tant le droit législatif que le droit coutumier reconnaissent les droits d’une veuve, à titre de personne à charge, de continuer à utiliser la terre durant toute sa vie après la mort de son mari. Toutefois, dans un nombre croissant de cas, les gens ne respectent plus ces droits et les institutions chargées de les faire appliquer – comme les chefs et les anciens – sont soit incapables soit réticentes à le faire.
Animateur:
Alors, de quelle façon Zipporah a-t-elle été protégée?
Mme Shivutse:
Notre intervention est arrivée un peu tard mais tout n’a pas été perdu. L’argent de la commission nationale en charge des enseignants était déjà gaspillé. Mais elle a réussi à récupérer sa terre, sa maison et ses biens ménagers. Depuis, elle a réintégré sa maison.
Animateur:
Ces efforts ont porté fruit et Zipporah Wanyama et ses enfants sont heureux d’être de retour dans ce qu’elles appelaient autrefois leur maison. Cela fait six mois qu’elles ont réintégré leur maison et une belle récolte de haricots a déjà fleuri. D’ici un mois, cette famille bénéficiera de nouveau d’un bon repas issu de sa terre.
Zipporah, quelle leçon pouvons-nous tirer de votre situation?
Zipporah:
Que les femmes ont des droits juridiques d’hériter de biens au Kenya. De nombreuses femmes ont pu tirer un enseignement de ma situation. Déjà, un certain nombre de mes amies détiennent des titres de propriété conjointement avec leurs maris. La collectivité a fini par savoir que la loi protège les femmes et les enfants lorsque leur mari et père décède. Même si je n’ai pas réussi à récupérer tout ce que possédait mon mari, je suis heureuse pour mes enfants et moi-même d’avoir la terre et la maison, ce qui représente une bonne sécurité sur le plan social.
Montée de l’indicatif musical (5 secondes) puis fondu enchaîné sous la voix de l’animateur
Animateur:
De nombreux éléments ressortent de l’expérience de Zipporah. Tout d’abord, que l’on peut réussir à régler la discrimination contre les femmes. Par le biais de l’éducation communautaire, de la consultation et de la sensibilisation, on peut rejeter les attitudes négatives à l’égard des femmes et elles peuvent réclamer leur place légitime dans la famille et dans la collectivité. Le succès des organisations locales de femmes, comme GROOTS Kenya, nous enseigne que les femmes sont des partenaires à part entière dans le développement, et pas seulement des bénéficiaires passives du développement.
C’est tout le temps dont nous disposons pour l’émission d’aujourd’hui. À la semaine prochaine à la même heure. Au micro, votre animateur …………………. Au revoir!
Montée de l’indicatif musical (10 secondes) puis fondu enchaîné et sortie
Acknowledgements
Rédaction : John Cheburet, réalisateur, TOFRadio, Nairobi, Kenya.
Révision : Eileen Alma, administratrice de programmes, Droits des femmes et participation citoyenne, Centre de recherches pour le développement international (CRDI).
Traduction : Jean-Luc Malherbe, Société Ardenn, Ottawa, Canada.
Information sources
GROOTS Kenya : http://www.groots.org/
CRDI, L’accès à la terre en Afrique : un terrain miné pour les femmes – Présentations de la conférence, à l’adresse http://www.idrc.ca/fr/ev-158124-201-1-DO_TOPIC.html