Les mutilations génitales féminines dans la région de Kolda au Sénégal : Une pratique qui persiste

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En 2016, l’Unicef estimait qu’au moins 200 millions de filles et de femmes avaient subi une mutilation génitale féminine dans 30 pays : 27 pays africains, plus le Yémen, l’Irak et l’Indonésie. La moitié des femmes et des fillettes dans le monde qui ont subi une mutilation génitale féminine résident dans trois pays seulement : l’Indonésie, l’Éthiopie et l’Égypte, dont les populations comptent respectivement 256 millions, 98 millions et 89 millions d’habitants, et ou les taux de prévalence sont respectivement estimés à 51 %, 74 % et 92 %. En Afrique, seuls les pays formant une large bande centrale allant de l’ouest à l’est et incluant l’Égypte, sont concernés par les MGF, mais avec des écarts importants de prévalence.

Au Sénégal, la région de Kolda fait partie des localités les plus touchées par cette pratique C’est une tradition qui marque au fer rouge ses victimes en leur laissant un lot de conséquences : douleur, hémorragie, infection et traumatisme. Les séquelles sont tenaces et peuvent conduire à la frigidité, aux complications à l’accouchement et parfois à la mort.

Dans ce texte radiophonique, une sage-femme, une victime et une ancienne exciseuse, reviennent sur les différents types de mutilations génitales féminines et les conséquences engendrées, ainsi que sur les raisons qui poussent à cette pratique et les efforts consentis pour son éradication.

Pour produire une émission similaire sur les mutilations génitales féminines vous pourrez vous inspirer de ce texte. Si vous optez de le présenter dans le cadre de votre émission de santé vous pouvez utiliser des voix d’acteurs pour représenter les différents intervenants. Et dans ce cas, veuillez indiquer à votre auditoire tout au début de l’émission que les voix sont celles des acteurs et non celles des véritables participants.

Si vous créez vos propres émissions sur les mutilations génitales féminines, parlez aux personnes victimes de cette pratique dans votre région, parlez à leur famille, parlez également à celles qui la pratiquent ainsi qu’aux experts médicaux. Vous pourriez leur poser les questions suivantes :

  • Comment les gens de la région perçoivent les mutilations génitales féminines?
  • Quels sont les différents procédés de cette pratique?
  • Quelles sont les conséquences liées aux MGF?
  • Existe-t-il une législation qui interdit cette pratique? Si oui est-elle efficace?
  • Pourquoi une pratique aussi dangereuse persiste toujours?

Durée estimée, avec l’indicatif musical, l’intro et l’extro : 15-20 minutes.

Texte

ANIMATRICE:
Située en haute Casamance dans le centre sud du Sénégal, la région de Kolda fait partie des régions où les mutilations génitales féminines sont toujours pratiquées. Selon les chiffres donnés par l’ONG Enda-Santé en octobre 2015, 85% des filles âgées de 0 à 15 ans ont subi cette pratique dans cette région.

Pratiquées pour des raisons coutumières, voire religieuses en vue de conserver la virginité de la fille jusqu’au mariage, ces pratiques consistent à faire une ablation totale ou partielle des organes génitaux externes de l’appareil génitale de la femme. Ce rituel est considéré par les sociétés qui l’agréent comme un passage obligé pour l’initiation de la jeune fille au respect des traditions, à sa vie future d’épouse et mère et aux valeurs morales telles que la pudeur et la discipline.

Mais, d’après les experts, les mutilations génitales féminines engendrent d’énormes conséquences aussi bien sur le plan sanitaire que psychologique. En vue de sanctionner les auteures de ces pratiques, le Sénégal a adopté la Loi 99-05 en 1999. Malheureusement, des années après sa mise en œuvre, cette loi semble ne pas dissuader certaines exciseuses qui continuent de braver l’interdit. La pratique continue dans cette partie du Sénégal.

Bonjour chers auditeurs et auditrices, nous allons parler aujourd’hui des mutilations génitales féminines sous toutes ses formes et les risques qu’encourent les victimes. Pour en parler nous avons interviewé un responsable de santé, une victime et une ancienne exciseuse.

Aissatou Dien est sage-femme au district sanitaire de Kolda, Mariama Gnamadio, victime de mutilations génitales et Maimouna Kandé ancienne exciseuse.

ANIMATRICE:
Auditrices et auditeurs, merci de nous suivre. Nous allons commencer avec madame Aissatou Dieng. Je rappelle qu’elle est sage-femme au district sanitaire de Kolda.

S’il vous plaît, pouvez-vous nous expliquer les différents types de mutilations génitales féminines?

AISSATOU DIENG :
Pour ce qui est des mutilations génitales féminines, il existe trois types. Pour le type 1, le clitoris est supprimé, soit totalement, soit partiellement. Il y a ensuite le type 2 où le clitoris et les petites lèvres sont enlevés partiellement ou entièrement. Et, enfin, le type 3 qui s’accompagne d’infibulation, c’est-à-dire qu’on enlève complétement le clitoris, les petites lèvres et les grandes lèvres en plus d’une suture et d’un rétrécissement de l’entrée vaginale.

ANIMATRICE:
Quelles sont les conséquences de cette pratique dans l’immédiat?

AISSATOU DIENG :
Quel que soit le type, les mutilations génitales féminines ont des conséquences sanitaires. Ainsi dans l’immédiat, il y a la douleur, car la mutilation se fait sans anesthésie. Elle peut ainsi causer un traumatisme et des saignements. Les saignements peuvent être abondants, car le clitoris est un organe qui a beaucoup de vaisseaux sanguins.

ANIMATRICE:
Donc, il y a des risques d’infection pour les victimes?

AISSATOU DIENG :
Evidemment! Il y a également la rétention d’urine et la victime aura toujours peur d’uriner, ce qui peut entrainer des infections au niveau de l’urètre et de la vessie. En outre, à la suite d’un événement ayant mis en danger l’intégrité physique ou psychique d’une femme, elle sera certainement stressée. Les blessures situées tout autour peuvent affecter, la vessie et le rectum.

ANIMATRICE:
Qu’est- ce qu’on peut retenir pour les conséquences à moyen terme?

AISSATOU DIENG :
A moyen terme, il peut y avoir des infections telles que le tétanos. Ces infections sont dues aux mauvaises conditions d’hygiène du matériel opératoire. Les exciseuses utilisent le plus souvent des couteaux ou des lames non stérilisées et appliquent des peaux de vache ou des feuilles en guise de pansement. L’hépatite B ou le VIH peuvent être contractés par les victimes du fait des mauvaises conditions de réalisation de l’opération. On peut également noter l’anémie* chez la victime.

ANIMATRICE:
Qu’en est-il des conséquences à long terme?

AISSATOU DIENG :
A long terme, les conséquences sont plus graves. Des abcès* peuvent se produire, nécessitant parfois une autre incision. Les infections pelviennes douloureuses accompagnées d’écoulements malodorantes provenant du vagin peuvent atteindre l’utérus et les trompes et causer une infertilité ou une stérilité. Il peut y avoir également un rétrécissement et un raccourcissement du vagin, et l’incontinence urinaire et fécale.

ANIMATRICE:
Les mutilations peuvent-elles être la cause des règles douloureuses?

AISSATOU DIENG :
Les femmes peuvent avoir des écoulements de sang douloureux pendant les règles, l’absence des règles, des douleurs pendant les rapports sexuels et même la frigidité.

ANIMATRICE:
Madame Aissatou Dieng, quelles sont les difficultés auxquelles ces femmes sont confrontées durant leur grossesse?

AISSATOU DIENG :
Le premier souci commence lors des consultations pré natales. Certaines femmes sont anxieuses, hantées par les douleurs de l’excision et refusent le toucher vaginal. La durée de l’accouchement chez les femmes qui en sont victimes est plus longue et plus compliquée que chez les autres femmes. L’accouchement peut durer plus de 24 heures. Ces femmes éprouvent aussi ce qu’on appelle la souffrance fœtale aigue* surtout entre la dilatation complète et le temps où l’enfant est complétement à l’extérieur du canal de naissance.

ANIMATRICE:
Donc, est-ce que la cicatrice causée par l’excision entraine-t-elle des difficultés à l’accouchement?

AISSATOU DIENG :
Les victimes sont confrontées à des difficultés de dilatation anormale de la vulve et d’expulsion du fœtus. Cela s’explique par le fait que la cicatrice de la plaie devient rigide et pendant l’accouchement tous les organes doivent être élastiques pour pouvoir laisser la tête du fœtus sortir. Avec la rigidité de cette cicatrice, le fœtus s’efforce pour sortir.

ANIMATRICE:
Y a-t-il d’autres conséquences?

AISSATOU DIENG :
Une autre conséquence, ce sont les déchirures qui sont causées par les efforts du fœtus qui tentent de sortir. La cicatrice va s’ouvrir et va saigner énormément surtout s’il s’agit d’une déchirure du périnée*. Les difficultés de l’accouchement peuvent entrainer des conséquences telles que les fistules* obstétricales.

ANIMATRICE:
Ces femmes risquent-elles plus de mourir pendant l’accouchement?

AISSATOU DIENG :
Si le travail est difficile, tout peut survenir. Si le fœtus a envie de sortir avec les contractions utérines lorsqu’il n’y a pas de passage ça va entrainer une déchirure qui peut causer une hémorragie mortelle. Ces femmes peuvent perdre la vie à cause de l’hémorragie ou d’une rupture de l’utérus.

ANIMATRICE:
Les femmes excisées peuvent-elles sentir du plaisir durant les rapports sexuels?

AISSATOU DIENG :
Le clitoris est l’organe le plus sensible de l’organisme. C’est l’organe par lequel pendant les rapports sexuels la femme peut ressentir du plaisir. Si la femme est mutilée, elle risque de ne pas sentir du plaisir au moment des rapports sexuels, et peut devenir frigide.

ANIMATRICE:
Nous nous sommes rendues au quartier Hilel de Kolda pour nous entretenir avec une victime des mutilations génitales féminines. Agée de 48 ans Mariama Gnamadio est issue d’une famille d’exciseuses. Aujourd’hui, elle est devenue une activiste pour l’éradication de cette pratique.

ANIMATRICE:
Quels souvenirs gardez-vous de votre excision?

MARIAMA GNAMADIO :
J’ai été excisée à l’âge de 10 ans. En plus de l’excision j’ai été infibulée. Et pour ce qui est de l’infibulation, certaines exciseuses laissent le sang coagulé après avoir mis un bâton pour permettre les urines de sortir. Quand j’urinais j’avais le bas ventre qui me faisait mal. Il m’arrivait de couper les urines. Ma maman m’administrait des infusions, mais la douleur persistait.

ANIMATRICE:
Saviez-vous la raison pour laquelle vous avez été excisée?

MARIAMA GNAMADIO :
Je devais partir dans un autre village pour continuer mes études. Pour ne pas que je tombe enceinte, ma mère a demandé que je sois excisée, et il en est ainsi. Mais quand je discutais de sexualité avec mes amies wolofs je me suis rendu compte qu’il y avait quelque chose qui clochait en moi. Ça me taraudait et j’en ai parlé à une de mes tantes qui m’avait dit que j’avais été préservée pour le mariage.

ANIMATRICE:
Et qu’est ce qui s’est passé le jour de votre mariage?

MARIAMA GNAMADIO :
Vers 17 heures on m’a dit d’aller en pleine brousse avec deux de mes tantes pour ouvrir ce qui a été fermé. Elles m’ont mise à terre. Elles ont ensuite déchiré cette peau qui était fermée et il fallait consommée le même jour des rapports sexuels.

ANIMATRICE:
Cela vous a traumatisé?

MARIAMA GNAMADIO :
Ça faisait excessivement mal, terrible. Imaginez cette douleur: on te déchire la peau tu consommes des rapports sexuels, et ce qui devait être un plaisir devient une souffrance, pour un jour sensé heureux.

ANIMATRICE:
Vous êtes issue d’une famille d’exciseuses comment votre famille a accueilli votre décision d’entrer en lutte contre cette pratique?

MARIAMA GNAMADIO :
Je porte encore des séquelles de l’excision malgré quelques soins médicaux. Et j’ai pris l’engagement ferme que mes filles ne seront pas excisées. J’ai décidé d’intégrer une ONG qui s’active dans la lutte contre les mutilations génitales féminines.

ANIMATRICE:
Comment a été votre intégration dans cette ONG?

MARIAMA GNAMADIO :
C’était difficile au départ, car il y avait beaucoup de pression venant de mon entourage immédiat, de ma communauté d’une manière générale. Avec le temps j’ai pu gagner leur confiance et leur soutien. Je porte en moi l’espoir de plusieurs femmes. Et malgré mon âge, avec ma moto, je fais plus de 160 kilomètres entre Kolda et Vélingara dans l’espoir de dissuader et de sensibiliser nos mamans sur les conséquences graves qui peuvent résulter de ces pratiques.

ANIMATRICE:
Avec toutes ces campagnes de sensibilisation Kolda enregistre toujours un fort taux de filles qui ont subi cette pratique. Qu’est-ce qui explique cela?

MARIAMA GNAMADIO :
Vous savez nos populations ont une culture du silence. Beaucoup de filles sont excisées en cachette avec la complicité de leurs parents. Outre les ONG, les autorités étatiques doivent davantage appuyer les efforts de sensibilisation pour éradiquer la pratique.

ANIMATRICE:
D’après les défenseurs de l’excision, l’une des raisons qui justifient ces pratiques est la volonté de conserver la virginité de la fille. Qu’en pensez-vous?

MARIAMA GNAMADIO :
Chez nous ce sont les fillettes de 12 ou 13 ans qui tombent enceinte. Les grossesses précoces sont plus fréquentes chez les filles excisées. Je ne vois pas comment ces pratiques permettent de conserver la virginité de la fille.

ANIMATRICE:
Maimouna Kandé est âgée de 66 ans. Elle vit dans le village de Saré Yoba Niampampou. Maimouna a pratiqué l’excision pendant plus de 20 ans. Aujourd’hui, elle a tourné le dos à cette pratique et évolue dans le petit commerce pour subvenir à ses besoins.

Madame Kandé, pourquoi avez-vous abandonné cette pratique?

MAIMOUNA KANDE :
Quand j’ai commencé à participer à des rencontres de sensibilisation sur les conséquences graves qui peuvent résulter des mutilations génitales féminines, j’ai décidé d’abandonner cette pratique. J’ai pris conscience de tout le mal que j’ai pu faire à ces filles et j’ai arrêté définitivement.

ANIMATRICE:
Ça fait combien de temps que vous avez rangé le couteau?

MAIMOUNA KANDE :
Cela fait maintenant cinq ans que je n’ai plus touché au couteau. Ça suffit. Beaucoup de sang a coulé sur mes mains.

ANIMATRICE:
Quels étaient les instruments que vous utilisiez?

MAIMOUNA KANDE :
J’utilisais un seul couteau, pour toutes les filles et peu importe le nombre: la tradition le veut ainsi. J’avais ce couteau et une petite calebasse d’eau ou je trempais ma main de temps en temps.

ANIMATRICE:
Le couteau était-il stérilisé avant de procéder à l’opération?

MAIMOUNA KANDE :
Non le couteau n’était pas stérilisé. C’est le couteau que mon père m’a donné pour faire cette pratique et je l’utilisais tel quel.

ANIMATRICE:
Saviez-vous que ce couteau pouvait transmettre le VIH ou d’autres maladies aux filles?

MAIMOUNA KANDE :
Je ne le savais pas. Je m’en suis rendue compte tardivement. Les rencontres de sensibilisation auxquelles j’avais participé m’avaient fait comprendre la gravité de la pratique.

ANIMATRICE:
Etiez-vous rémunérée?

MAIMOUNA KANDE :
Je n’y gagnais pratiquement rien, des sommes dérisoires, 500 FCFA et un coq, je le faisais uniquement pour perpétuer une tradition.

ANIMATRICE:
Quel message lancez-vous à celles qui refusent d’arrêter la pratique?

MAIMOUNA KANDE :
Qu’elles arrêtent de mettre en danger la vie de ces filles.

ANIMATRICE:
Merci chères braves femmes qui nous ont permis de réaliser cette émission. Un grand merci à la sage-femme du district sanitaire de Kolda qui est revenue d’une manière explicite et détaillée sur les différents types de mutilations génitales féminines, et les conséquences qui peuvent en découler. Merci également à Mariama Gnamadio et Maimouna Kandé qui sont revenues sur des aspects importants qui contournent les mutilations génitales féminines mais aussi sur la nécessité de lutter contre cette pratique. Malgré les efforts consentis et les campagnes de sensibilisation, les mutilations génitales féminines semblent avoir la peau dure. Les populations semblent plus que jamais déterminées à perpétuer leur tradition.

Merci pour votre attention et à bientôt.

Définitions:

Abcès : Une accumulation localisée de pus dans les tissus, les organes ou des espaces restreints généralement à cause d’une infection.

Anémie : Situation où une personne n’a pas assez de globules rouges pour transporter la quantité suffisante d’oxygène vers les tissus cellulaires. L’anémie peut causer la fatigue et vous rendre faible.

Douleur fœtale aiguë : Pendant l’accouchement, l’enfant peut souffrir d’un manque d’oxygène.

Fistule obstétricale : Trou situé entre le canal de naissance et la vessie ou le rectum creusé par des accouchements longs et obstrués sans accès à des soins médicaux de haute qualité en temps voulu.

Périnée: Zone située entre l’anus et le scrotum ou la vulve.

Acknowledgements

Rédaction : Amy Keita, journaliste, Dakar, Sénégal

Révision : Diao Hawa Kandé, directeur, bureau de l’égalité des sexes, inspection de l’académie de Kolda, ministère de l’Éducation nationale, Sénégal.

Cette ressource a été produite grâce au soutien financier du gouvernement du Canada par l’entremise d’Affaires mondiales Canada.

Information sources

Interviews 

Mariama Gnamadio, 48 ans, 27 mars 2020

Aissatou Dieng, sage-femme, district sanitaire de Kolda, 29 mars 2020

Maimouna Kandé, 66 ans, 1er avril 2020

Loi 99-05 du 29 janvier 1999 pénalisant la pratique de l’excision au Sénégal

http://www.africanchildforum.org/clr/Legislation%20Per%20Country/Senegal/senegal_fgm_1999_fr.pdf

Armelle Andro et Marie Lesclingand, 2017. « Les mutilations génitales féminines dans le monde » dans Population et Société (numéro 543), pages 1 à 4.

https://www.ined.fr/pulications/editions/population-et-societes/les-mutilations-genitales-feminines-dans-le-monde/